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VOTE DE SUBVENTIONS AUX ASSOCIATIONS : LE CRITÈRE DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL, BOUSSOLE DU JUGE ADMINISTRATIF

Toute participation d’un élu, membre du bureau d’une association, au vote d’une subvention est-elle nécessairement illégale aux yeux du juge administratif ?

Non : le juge administratif distingue selon les situations. L’analyse des objectifs poursuivis par l’association est déterminante. Si l’association poursuit des objectifs qui se confondent avec ceux de la généralité des habitants de la commune, la participation des élus qui sont au bureau de l’association ne soulève pas de difficultés. Dans le cas contraire, la délibération est annulée. Ainsi, en l’espèce, le tribunal administratif distingue la participation d’élus du bureau au vote d’une subvention au comité des fêtes qui est jugée légale, avec la participation du maire au vote d’une subvention à une association de chasse dont il est président qui est jugée illégale.

Attention : pour le juge pénal le critère de l’intérêt conforme à celui de la généralité des habitants est indifférent. Il peut entrer en voie de condamnation alors même que la délibération n’est pas viciée aux yeux du juge administratif.

Le conseil municipal d’une commune de 500 habitants vote une subvention d’un montant de 1 685 euros au comité des fêtes et une subvention de 100 euros à une société de chasse.

Un élu d’opposition objecte que ces deux subventions sont nulles :

  • des élus, bien que membres du bureau du comité des fêtes, ont participé au vote pour la première subvention ;
  • le maire a participé au vote concernant la subvention à la société de chasse alors qu’il en est le président.

Or aux termes de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales :

« Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires « .

Le tribunal administratif de Caen distincte les deux situations en s’appuyant sur la notion « d’intérêt distinct de celui de la généralité des habitants ».

La subvention au comité des fêtes jugée légale

Le tribunal ne trouve rien à redire sur la subvention votée au comité des fêtes :

« Le comité des fêtes poursuit des objectifs qui se confondent avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune et leurs présidents, trésoriers ou chargés de missions ne sont dès lors pas, en cette qualité, intéressés aux affaires concernant ces associations. »

Il importe peu donc, aux yeux du juge administratif, que les élus membres du bureau du comité des fêtes aient participé au vote de la subvention.

La subvention à la société de chasse jugée illégale

Appliquant le même critère, le juge administratif annule en revanche la subvention de la commune de 100 euros à la société de chasse :

« En revanche, la société de chasse, dont le maire de la commune est le président, bien que dépourvue de but lucratif, poursuit des objectifs qui ne se confondent pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune. Dès lors, le maire doit être regardé comme intéressé, au sens des dispositions précitées. Il ressort des pièces du dossier que le maire a participé au débat et au vote de la délibération attaquée. Dès lors, le maire, qui était intéressé au vote de cette subvention, doit être regardé comme en ayant influencé le résultat. »

Un critère indifférent pour le juge pénal

Ce qui est déterminant, pour le juge administratif, c’est de vérifier si le but poursuivi par l’association subventionnée (ou par l’élu directement) se confond au non avec l’intérêt de celui de la généralité des habitants de la commune. La circonstance que des élus, membres d’une association, aient participé au vote d’une subvention à une association qui organise une fête au village ne soulève ainsi pas de problème aux yeux du juge administratif.

Alors que pour le juge pénal, une telle subvention peut rentrer dans le champ de la prise illégale d’intérêts dès lors que des élus, membres du bureau de l’association, ont participé au vote de la délibération ou sont restés dans la salle au moment du vote. Et ce quels que soient le but de l’association et le montant de la subvention.

Quatre élus municipaux d’une commune du Lot de 200 habitants ont ainsi été condamnés en mai 2022 pour prise illégale d’intérêts sur plainte d’un opposant. Leur tort ? Avoir participé au vote d’une subvention de 250 euros à une association dont ils font partie pour l’organisation d’une fête de la poterie. Pour le juge pénal, il est en effet indifférent que l’association subventionnée poursuive des intérêts qui se confondent avec ceux de la généralité des habitants.

Cette discordance d’analyse soulève d’ailleurs en pratique des complications (avec des ballets incessants d’entrée et sortie de la salle) et des incertitudes juridiques qui auraient pu être levées par une autre rédaction de l’article 432-12 du code pénal. Une proposition de loi sénatoriale avait adoptée en ce sens à l’unanimité le 24 juin 2010 par le Sénat. Mais cette initiative avait finalement avorté. La loi dans la confiance de l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 a modifié le texte d’incrimination en remplaçant la notion d’intérêt quelconque par celle d’intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité ». De nombreux spécialistes (lire notamment les analyses croisées de Me Goutal, Landot, Bluteau et Saban dans notre rapport annuel 2021 pages 50 à 59), étaient sceptiques sur la portée d’un tel changement. De fait la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé en avril 2023 Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 avril 2023, N° 21-87.217) que la nouvelle formulation était neutre et ne justifiait pas une application rétroactive du texte aux affaires non définitivement jugées.

Tribunal administratif Caen, 12 Mai 2023, n° 2100695 (PDF)*